« La prunelle de ses yeux » de Ingrid Desjours

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Résumé :
Gabriel Abramovic a tout perdu en l’espace d’une nuit. La vie qu’il s’était construite à force de sacrifices. Victor, son fils de 17 ans, battu à mort par un inconnu. La vue. Dix ans plus tard, il a appris à tout surmonter. Sa cécité, qu’il n’a pas renoncé à combattre. Sa solitude, qu’il comble en cumulant les conquêtes. Tout. Sauf le deuil de son enfant. Germe alors une idée un peu folle dans sa tête : et si sa guérison passait par la résolution du meurtre de son fils, resté impuni ? Victor était un garçon brillant mais secret, torturé, excessif, curieux. Le genre qu’on peut vouloir réduire au silence de façon radicale. Gabriel décide de partir à la rencontre des dernières personnes qui l’ont côtoyé afin de faire la lumière sur les circonstances de sa mort. Pour le guider dans sa quête sous forme de road trip, il recrute Maya Torres, une jeune femme solitaire et mélancolique, sans lui avouer le véritable but de ce voyage. Facile et bien payé, ce travail tombe à point nommé pour la jeune femme aux fins de mois difficiles. Elle devra être son guide, son chauffeur. Ses yeux. Mais qui guide vraiment qui ? Gabriel éveille Maya à une sensualité à laquelle elle avait renoncé depuis longtemps, la fait rire, rougir, fait battre son coeur. Seulement, quand leurs escales la ramènent systématiquement à un secret qu’elle croyait à jamais.

 ★ Merci à la Bête Noire pour ce SP ★

☆ AVIS DE BELI ☆

D’Ingrid Desjours, j’ai lu Les Fauves, un récit poignant qui évoque le terrorisme et qui est sorti au moment des attentats 2015, l’impact de cette lecture n’en fut que plus poignant. Lorsque j’ai découvert le résumé de ce dernier livre, j’ai de suite su que je voudrais le lire, je remercie les Editions Robert Laffont de me l’avoir proposé.

La prunelle de ses yeux nous propose une ambiance toute particulière, dés le départ, nous sommes confrontés à des personnages qui filent la chair de poule avec cette impression constante d’être en danger. La narration multiple et intemporelle, nous passons ainsi de l’année 2003 à l’année 2016, nous permet de bien comprendre le cheminement de l’histoire qui nous est dévoilée au fur et à mesure. Les personnages sont assez sombres et semblent être tous pourvus d’une part de perversité qui a le mérite de plonger le lecteur dans le doute complet : comment savoir qui est bon et qui est mauvais ? C’est impressionnant de voir comment Ingrid Desjours arrive à manipuler le lecteur, c’est elle qui mène la danse, elle nous conduit où elle veut et au moment où elle le souhaite, nous ne pouvons que suivre, c’est ainsi que nous sommes portés par notre lecture avec cette envie de découvrir quel est le fin mot de l’intrigue.

En 2003, la plupart des protagonistes sont adolescents et viennent d’être acceptés dans une école de renom qui ne prend que les meilleurs, le récit est alors conté par Victor. Il vient d’arriver dans l’école et nous fait découvrir quels en sont les personnages qui se prennent pour plus important que les autres. Victor semble être à part, ses pensées nous sont dévoilées et ses noirs dessins provoquent des frissons car il parait utiliser une certaine malveillance pour arriver à ses fins. Nous abordons alors un thème caractéristique de ces grandes écoles qui affirment prôner la réussite : le bizutage et le harcèlement qui s’avèrent être monnaie courante dans ce type d’établissements. C’est ainsi que nous découvrirons sur quelques mois de cette année ce que Victor va découvrir, cela menant à une soirée qui changera ainsi bien des vies. Victor reste ce personnage grâce auquel les retours dans le passé sous sa narration sont captivants, nous n’avons qu’une envie : en découvrir plus sur lui et sur le bien fondé de ses actions, que cherche-t-il à prouver ? et dans quel but ? C’est un personnage très énigmatique et nous ressentons bien la tension qui gravite autour de lui et quand nous prenons conscience des faits, nous ressentons alors comme un déferlement d’émotions plus intenses les unes que les autres.

Le passé refait surface tandis que l’on découvre Maya de nos jours en 2016, l’une des étudiantes isolée loin de tous en Irlande. C’est au contact de Gabriel qui n’est autre que le père de Victor que nous ferons sa connaissance. Maya a beau avoir 37 ans en 2016, elle semble constamment apeurée et s’est isolée pour survivre, ces sentiments qui l’étreignent et ont dicté sa vie depuis tant d’années nous poussent à vouloir la protéger et nous ressentons le danger qu’elle encourt, cela n’en est que plus effrayant. Nous découvrons qu’elle a été sa vie après cette soirée qui la hante depuis tant d’années et qui a causé un traumatisme profond chez elle après tellement d’épreuves traversées. Elle rencontre Gabriel, atteint de cécité suite à un gros traumatisme, il est à la recherche de vérités sur le décès de son fils et demande l’aide de Maya, sans qu’elle est conscience de qui il est le père. Tandis que Maya tente de se rendre utile, Gabriel nous dévoile peu à peu ses pensées peu charitables la concernant, elle ne sait pas encore qu’en acceptant elle se verra propulser vers ce passé qui la hante tant. De Gabriel, l’auteure nous offre deux personnages qui semblent être distinct l’un de l’autre et pourtant il s’agit bien du même homme, sauf que celui-ci a vécu aussi le traumatisme de la mort de son fils comme une remise en question, à travers sa quête de vérité, nous découvrirons un personnage qui tend à être bien différent du passé.

Ingrid réussit à manipuler les lecteurs avec brio, le monde dans lequel elle nous introduit, parsemé de personnages tous aussi angoissants les uns que les autres est monté de façon à nous clouer sur place à la révélation des faits. Elle a totalement réussi avec ses analyses très pointues des caractéristiques psychologiques de ses personnages à mener le lecteur là elle voulait, c’est un des aspects épatants que j’apprécie beaucoup dans la plume d’Ingrid et ce dénouement est formidable, tellement bien orchestré. Nous prenons le temps tout au long de notre lecture de découvrir chaque personnage, bon comme méchant ils nous sont dévoilés pour que nous puissions avoir toutes les informations en main mais c’est fait en gravissant les échelons pour nous mener à un final époustouflant.

J’ai été profondément touchée par certaines scènes admirablement bien décrites, tellement que j’ai eu l’impression d’en ressentir les coups et les portées psychologiques, c’est bouleversant de voir à quel point les mots peuvent porter des marques sur le lecteur. Des scènes de ce récit resteront ancrées dans ma mémoire tellement elles m’ont bouleversées tant par ce qu’elles représentent que ce qu’elles révèlent comme vérités sur les personnages auxquelles on ne s’attendait pas. J’évoque ainsi la puissance des mots sur l’impact physique mais au delà de cela, c’est aussi les thèmes abordés qui sont poignants : la traduction du racisme, de l’homophobie m’ont profondément heurtés. Nous évoquons des thèmes récurrents que la société véhicule, qui se passent ouvertement ou dans l’ombre, conduisant certains à commettre des actes atroces.
Le récit est aussi accès sur le sujet de la paternité, des rapports qu’entretiennent un père et son fils : de l’impact des réactions et des paroles sur un enfant, sur un avenir. Nous découvrons ainsi ce que ressentent chacun d’eux et les actes qui en découlent, portant ce lien haut et fort. C’est à la lecture du récit que tout ceci prend son sens.

Un « thriller », le mot n’est pas vraiment juste, c’est plus une traduction de tant de sujets sociétaires qui nous touchent tous et contre lesquels il faut continuer de lutter, son roman devient alors un beau message d’espoir dans lequel l’amour et la romance dictent cette parcelle d’humanité que chacun a en soit. L’ensemble est mené avec maestro, Ingrid Desjours a encore réussi à nous maintenir en haleine tout du long, alliant avec aisance la psychologie de ses personnages et une intrigue menée avec brio. Je suis encore scotchée avec cette lecture, poignante, émouvante et qui ne peut que résonner en chacun d’entre nous.

« La prunelle de ses yeux » de Ingrid Desjours
Editions Robert Laffont, Collection la Bête Noire le 13/12/2016 : 400 pages

NOTE : 5/5

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